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Chroniques du 10 Septembre.

Sommaire

1796

L’affaire du camp de Grenelle. Le Babouvisme est écrasé. L’affaire du camp de Grenelle est l’épisode décisif de la conjuration des Égaux animée par Gracchus Babeuf.

Cet ancien feudiste, qui rêvait d’un communisme agraire, prépare un complot en liaison avec d’anciens Montagnards. Après l’échec des journées de germinal et de prairial an III (1er avril et 20 mai 1795), il convient de renoncer à un soulèvement populaire, parce que les faubourgs sont désarmés.

Les babouvistes qui ont pris des contacts au sein d’une force chargée du maintien de l’ordre dans Paris, la Légion de police, espèrent un soulèvement des militaires du camp de Grenelle contre le Directoire. La dénonciation de Grisel, un officier affilié à la conspiration, permet au ministre de la Police, Cochon de Lapparent, de réussir un vaste coup de filet le 21 floréal an IV (10 mai 1796).

Babeuf et ses principaux complices sont arrêtés. Les derniers partisans des Égaux tentent dans la nuit du 23 au 24 fructidor (9-10 septembre) de soulever les soldats du camp de Grenelle. Carnot, alors membre du Directoire, et Cochon de Lapparent laissent l’insurrection se développer puis lancent la cavalerie. Il y a plusieurs morts sur le terrain et trente fusillés. Le babouvisme était écrasé. Ses maladresses dans l’affaire du camp de Grenelle où il fut le jouet d’agents provocateurs ont été sévèrement jugées par Karl Marx.

1897

Naissance de Georges Bataille, cet écrivain français qui place l'érotisme et la transgression au cœur de son analyse philosophique et de ses textes de fiction.

Bibliothécaire de formation, converti au catholicisme, puis marxiste, ami de savants, d'ethnologues, de philosophes et de psychanalystes, il a puisé dans sa vaste culture les fondements de son analyse historique et sociale, sa théorie mystique et son œuvre de fiction. Prolongeant les thèses de Hegel, Bataille montre que l'homme, malgré les lois par lesquelles il organise son activité, reste hanté par la nature, dont il s'arrache à grand-peine (" Lascaux, ou la Naissance de l'art ", 1955).

Cet attachement primordial se manifeste dans la mort et la sexualité, deux facteurs de désordre contradictoires avec la vie sociale, et sur lesquels, de ce fait, pèsent tabous et interdits. Mais ces derniers fondent en retour le désir de la transgression (" l'Érotisme ", 1957), qui jadis pouvait s'exprimer dans la fête, le sacrifice ou l'orgie, mais que la société actuelle, le christianisme aidant, proscrit, laissant les révoltés, tel Gilles de Rais ou le marquis de Sade, abandonnés à eux-mêmes (" la Part maudite ", 1947).

Il s'agit dès lors, dans une démarche qui s'apparente à l'extase mystique, de faire éclater les barrières du moi et d'atteindre une " hypermorale " (" l'Abbé C. ", 1950), en dehors de toute présupposition éthique ou religieuse. Dans une trilogie intitulée " Somme athéologique " (" l'Expérience intérieure ", 1943 ; " le Coupable, 1944 ; " Sur Nietzsche ", 1945), Bataille rend compte de son cheminement intellectuel vers " la voie ardue, mouvementée, celle de l'homme entier, non mutilé ".

La méditation doit conduire à cet état d'illumination, sans recours aux hallucinogènes et sans jamais verser dans l'ésotérisme bien qu'elle emprunte aux techniques ascétiques orientales. Pierre angulaire de son interprétation de l'Histoire et de la société comme de sa mystique individuelle, l'érotisme est également au cœur de ses récits de fiction.

De romans en romans, Bataille développe un érotisme mêlé au sordide, à l'ordure et à l'horreur, qui, sacralisé, cherche à épuiser le possible jusqu'à cet extrême où le dégoût et la volupté se rejoignent et s'annulent, permettant à l'homme de surmonter la répulsion de lui-même et de se délivrer des représentations illusoires (" Anus solaire ", 1927!; " Histoire de l'œil ", 1928!; " Madame Edwarda ", 1937!; " Alleluiah ", 1947.

L'écriture a chez lui vocation à l'outrance, provocation violente qui refuse la facilité de l'esthétisme (" Haine de la poésie ", 1947 ; " la Littérature et le Mal ", 1957). Souvent présenté comme un écrivain maudit et inclassable du fait de sa pensée toujours déroutante, scandaleuse, contradictoire et plurielle, Bataille eut pourtant une influence déterminante sur les écrivains de son époque, qui lui empruntèrent beaucoup en le citant peu. Il faut attendre les années 1960-1970 pour voir son nom apparaître sous la plume des autres intellectuels.

1915

Naissance du Canard Enchaîné, le 1er et le principal hebdomadaire satirique français, créé par Maurice et Jeanne Maréchal, en riposte à la censure de la presse, à la propagande et au bourrage de crâne imposés par la guerre et ses difficultés. Mais il ne démarre vraiment que le 5 juillet 1916, s’annonçant comme "  vivant, propre et libre ". Il va s’attaquer " à la guerre, à la censure, aux politiciens, aux affairistes, aux curés, au pouvoir, à la guillotine ".

Originellement antimilitariste, il se situe délibérément à gauche, sans renoncer pour autant ni à son indépendance ni à son esprit critique. Ses premiers collaborateurs ne sont pas moins que Anatole France, Tristan Bernard ou Jean Cocteau, et des dessinateurs aussi célèbres que Laforge et Gassier.

Après la guerre arrivent Henri Jeanson et Roland Dorgelès. Critique vigilant du monde politique et économique, le journal soutient néanmoins le Front populaire et dénonce la montée des régimes totalitaires.

Il suspend sa parution en 1940 pour reparaître le 6 septembre 1944. Maurice Maréchal est décédé en 1943. Son épouse, Jeanne, reprend la direction de l’hebdomadaire.

L’arrivée du général de Gaulle en 1958 va donner un nouvel élan au journal avec la création par Moisan et André Ribaud de " la Cour  ".

En décembre 1969, sous la direction de Fressoz, l’hebdomadaire évolue vers la dénonciation des scandales divers qui vont éclabousser le pouvoir : l’affaire Aranda, l’affaire Boulin, les "  micros du Canard  "... et l’affaire des " diamants " de Valéry Giscard d’Estaing, ce qui permettra au journal d’atteindre un tirage de 850 000 exemplaires.

À l’origine de cette nouvelle stratégie d’agitation politique reposant sur la publication de photocopies, on trouve Claude Angeli. " Fou du roi et garde-fou de la République ", selon le mot d’André Ribaud, Le Canard  ne sera jamais interdit.

Après 1981, il éprouve quelques difficultés à s’adapter à la victoire socialiste. Financé uniquement par ses lecteurs (il n’y a pas de publicité dans Le Canard enchaîné ), il voit sa diffusion, qui a connu une progression constante, fluctuer à la hausse selon l’importance des affaires révélées.

En 1936, Le Canard  tirait à 200.000 exemplaires, 300.000 en 1945 ; il connut une chute dans les années 1950 (100.000 exemplaires) pour reprendre sa progression dans les années 1960 : il atteint aujourd’hui les 400.000 exemplaires en moyenne, avec des pointes, comme celle de mai 1981 (élection de François Mitterrand) à 1,2 million.

Ses statuts le préservent de toute prise en main extérieure puisque seuls sont actionnaires ceux qui y travaillent, ainsi que les fondateurs. Sa bonne santé financière lui a permis de passer à la photocomposition en 1982.

Il emploie une trentaine de journalistes et dessinateurs permanents. Il entretient avec ses lecteurs des relations particulières : le courrier qu’il reçoit est abondant. L’utilisation d’un langage codé, parfois difficile à comprendre — et dont les mots croisés représentent l’archétype — contribue à renforcer cette connivence.

Il dispose d’un réseau d’informateurs, en particulier dans le monde administratif et politique. Pour être publiée, l’information doit être non seulement authentique, mais avoir une signification politique indéniable. Toute information qui parvient au Canard  est vérifiée, recoupée, la réputation du journal reposant en grande partie sur sa crédibilité.

Il s’agit pour lui, compte tenu de sa position particulière sur le marché de l’information, d’éviter d’éventuels pièges, mais aussi de protéger au maximum ses sources. Malgré ces précautions, il n’est pas à l’abri des procès.

1947

Le premier festival d’Avignon, modeste " Semaine d’art dramatique " (trois créations dans trois lieux scéniques différents, 2 993 spectateurs), eut lieu du 4 au 10 septembre 1947. En 1949, le troisième festival affiche " Le Cid " : un énorme succès.

En 1951, Gérard Philipe se joint à l’équipe ; pour d’innombrables spectateurs, il restera le Cid. Au cours de ce festival, Jeanne Laurent, sous-directrice des Spectacles au secrétariat d’État aux Beaux-Arts, propose à Jean Vilar la direction du Théâtre national populaire, tombé en désuétude, et l’installe au palais de Chaillot, à Paris.

Désormais, ces trois éléments : Vilar, Avignon, le T.N.P., constituent la plus grande aventure du théâtre d’après guerre. Les créations d’Avignon se présentent alors comme la grande orthodoxie du théâtre populaire, nourrie d’intelligence et de sensibilité. On redécouvrira peut-être peu à peu, une fois dépassé le théâtre du " choc affectif ", tout ce que le théâtre doit au metteur en scène Vilar, créateur, sur les vastes espaces scéniques du palais des Papes, des longues lignes droites hors desquelles l’acteur bouge peu. La parole devient récit ; le dépouillement, exigence.

Entre 1950 et 1960, la nuit provençale, habitée de tous les rois de Shakespeare et de Corneille, réunit des milliers de jeunes gens recueillis — des pèlerins, a-t-on dit —, dont le silence n’éclate que pour l’acclamation finale.

L’économie remarquable des mises en scène d’Avignon se charge de générosité, leur nudité exprime l’abondance.

En 1963, Vilar abandonne le T.N.P. et se consacre à " son " festival. En 1964, il crée les premières " rencontres d’Avignon " sur le thème du développement culturel. En 1966, il réorganise le festival en l’ouvrant à d’autres troupes que celle du T.N.P. En 1968, Avignon voit défiler près de cent mille personnes. Cette année-là, les contestataires du quartier Latin se sont donné rendez-vous pour le festival, avec les ballets de Maurice Béjart et le Living Theatre de Julian Beck.

Vilar avait réuni des états généraux de la culture pour essayer de définir ce que pouvait être une politique culturelle ; la prise de parole générale tourne à la mise en accusation de l’animateur, qui en sortira meurtri.

Ce procès fait à Vilar ravivait une ancienne querelle : le théâtre, même dans le cadre libéral du festival d’Avignon, ne pouvait instaurer cette fête intégrale qui abolirait le pouvoir de l’argent, le système capitaliste, la culture comme privilège de classe.

Pourtant, par-delà la contestation d’une année chaude, l’élan est donné. Le festival effectue sa mutation et retrouve un nouvel équilibre que Paul Puaux, collaborateur et successeur de Vilar, saura maintenir. Il accueille la Comédie-Française, mais aussi les réalisations des metteurs en scène les plus attachés à insuffler au théâtre une vie nouvelle : Roger Planchon, Antoine Bourseiller, Patrice Chéreau, Gabriel Garran, Marcel Maréchal prennent tour à tour possession de la cour du palais des Papes.

Parallèlement se développe un festival " off " au cours duquel des dizaines de jeunes compagnies, à l’imitation des troupes avignonnaises d’André Benedetto et de Gérard Gelas, animent les lieux les plus divers, parfois assez loin hors les murs. Les théâtres-laboratoires sont partout. Les colloques et les rencontres, les expositions n’ont jamais attiré autant de monde. En 1980, cependant, essoufflé et contesté à son tour, Paul Puaux se retire. Il est remplacé par Bernard Faivre d’Arcier, nommé pour cinq ans et décidé à rendre au festival une première place qu’il a quelque peu perdue.

Quitte à encourir le reproche de faire d’Avignon moins un lieu de découverte et de surprise qu’une superbe vitrine, il fait appel à la fine fleur de la scène française (Mnouchkine, Mesguich, Hourdin, Lavaudant...) et étrangère (Serban, Karge et Langhoff...), alternant coup de pouce aux jeunes compagnies (L’Attroupement, L’Aquarium) et opérations de prestige (Vittorio Gassman tout seul dans la cour d’honneur du palais des Papes, en 1982), sans négliger une ouverture très marquée en direction des textes contemporains (Les Céphéides  de J.-C. Bailly en 1983), de la danse (Pina Bausch), de la vidéo, du cinéma, avec, entre autres, Raoul Ruiz dont il coproduit le Bérénice  en 1983.

Enfin, Faivre d’Arcier étend la durée du festival à quatre semaines et lui consacre de nouveaux lieux, comme l’hospice Saint-Louis. Cette réussite n’empêche pas, toutefois, sa démission en 1984. Alain Crombecque lui succède. Peter Brook présente, en 1985, son Mahabarata , Antoine Vitez, en 1987, " Le Soulier de satin "  dans sa version intégrale : deux spectacles qui font date.

Bernard Faivre d’Arcier revient à son poste en 1992. Administrateur lucide mais peut-être moins proche des artistes, il maintient un équilibre difficile entre des " spectacles-événements " et des productions plus risquées.

Le festival d’Avignon est aujourd’hui une institution. Mais qu’on est loin de la ferveur des premiers temps !

Cam.

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Toutes ces chroniques ont été écrites par Cam (cleclercq@cybernet.be)
Dernière modification le 04/10/98, ©camilist 1998 --- une remarque ?
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